Le titre de cette exposition avec son dédoublement et son point d'interrogation se veut déjà très déroutant. S'il indique la perplexité devant la déclinaison plurielle en substantif et adjectif du mot modèle, il suggère aussi une interprétation qui va au-delà de sa définition de représentation, de réfèrent ou d'idéal à copier.
Selon son origine italienne, le mot renvoie à la reconstruction - modello au XVIe siècle étant la représentation en miniature - mais depuis Valéry il est aussi associé au processus créatif en référence au corps comme modèle selon la méthode de Léonard de Vinci.
Les photographies exposées, certes, appartiennent toutes au genre du portrait, mais d'emblée l'équilibre corps / modèle est perturbé par la frontalité et le surdimensionnement des images.
Plutôt que de jouer sur l'identification, les sentimentalités et les profondeurs psychologiques du portrait, les photographies de Valérie Belin et de Marie-Jo Lafontaine dégagent une distanciation critique par rapport à la nature ontologique de la photographie qui ici ne se réduit pas à l'enregistrement du réel. Certains éléments (les fonds colorés dans Babylone Babies, les arabesques dans les Mariées marocaines, les contrastes...) fonctionnent comme une sorte de mise en abîme formelle où le spectateur ne peut s'approcher qu'en participant à la construction de la représentation.
C'est que l'expérience esthétique, face à ces photographies imposantes, va au-delà des préoccupations liées traditionnellement au portrait. D'un côté, les images nous font plonger dans une sorte « d'entre espace » et « d'entre temporalité » ; de l'autre, comme chez Moreau et Gonnord, elles provoquent un déplacement sémantique à travers la mise en scène, respectivement ironique ou auratique de modèles issus de l'histoire de l'art.
En 2006, l'exposition « Un tableau peut en cacher un autre » au MNHA avait effleuré les questions du modèle en montrant les enjeux de la photographie dans le discours de l'iconicité et en dégageant les spécificités photographiques face à la peinture. Aujourd'hui l'exposition Modèles modèles ? permet d'approfondir le regard croisé sur le réel et sa représentation à travers des positions photographiques contemporaines, certes différentes entre elles, mais liées par le même souci de faire de ces portraits des images pensives.