Travaux préparatoires autour de notre prochaine exposition historique La révolution de 1974. Des rues de Lisbonne au Luxembourg.
Cinquante ans jour pour jour après la Révolution du 25 avril 1974 au Portugal, le Nationalmusée um Fëschmaart ouvrira une exposition consacrée à ce chapitre de l’histoire commune au Portugal et au Luxembourg. L’expérience de la dictature de l’Estado Novo et sa fin seront au coeur de notre propos. En 1974, aussi bien à Lisbonne qu’à Luxembourg, des gens sont descendus dans les rues pour manifester en faveur de changements politiques radicaux au Portugal.
Rappelons que le 25 avril 1974, suite au déclenchement d’un coup d’État militaire, des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues de Lisbonne. Cette révolution quasi pacifique a mis fin à près de 48 ans de dictature au Portugal, suscitant l’enthousiasme dans toute l’Europe.
Au Luxembourg, où vivaient alors déjà plus de 6.000 ressortissants portugais, plusieurs centaines de personnes sont également descendues dans la rue le 11 mai 1974 en solidarité avec ce qui se passait alors au Portugal. À cette occasion, le rappel du représentant consulaire portugais au Luxembourg, qui avait été nommé par la dictature en 1966, a été revendiqué. En somme, on peut dire que le vent de révolution avait en quelque sorte également gagné le Grand-Duché.
La peur d'un revirement communiste
Pourtant, aussi bien au Portugal qu’au Luxembourg, les événements à Lisbonne étaient en partie perçus d’un oeil critique. En pleine Guerre froide, d’aucuns craignaient que le Portugal révolutionnaire devienne un pays communiste et certains commentateurs, sans cacher leur sympathie pour la dictature conservatrice de l’Estado Novo, se sont montrés peu concernés par l’intense – et parfois chaotique – débat politique ayant secoué le Portugal entre 1974 et 1976. De ce climat d’effervescence émerge finalement une démocratie parlementaire classique qui ouvrira la voie à l’intégration du Portugal à la Communauté européenne en 1986.
Notre exposition, qui ouvrira ses portes en avril 2024, vous propose de suivre également le destin de quelques témoins dont la vie a été marquée par la dictature portugaise ou par les événements de 1974.
Cinquante ans après la Révolution des OEillets, le moment est venu de recueillir pour la postérité les témoignages de gens ayant vécu dans leur chair ces temps bouleversants et de remettre au coeur de l’actualité l’impact que la dictature de Salazar, les guerres dans les territoires d’outremer et la révolution ont eu sur la vie de très nombreuses personnes vivant aujourd’hui au Grand-Duché. Nous avons donc fait le choix de mettre en avant des témoignages de personnes résidant au Luxembourg dans les années 1970 à 1980 (et toujours établies au Grand-Duché), ou ayant un lien fort avec la Révolution des OEillets.
«25 de abril»: un héritage collectif
L’exposition entend encore illustrer une histoire politique des relations entre le Luxembourg et le Portugal dans les années 1960 et 1970. De moins en moins familière à la population résidant au Luxembourg, la réalité de la dictature portugaise et la transition vers la démocratie, ainsi que la brutale décolonisation de l’Empire colonial portugais, seront au centre de notre propos afin de faire revivre une partie de l’histoire qui fait aussi partie de notre mémoire collective. Le Luxembourg compte aujourd’hui plus de 150.000 personnes ayant des racines familiales au Portugal ou dans les anciennes colonies portugaises et qui sont donc héritières d’une manière ou d’une autre des événements du 25 avril 1974.
Si la perception des liens entre le Luxembourg et le Portugal se fait toujours par le biais de l’histoire migratoire, souvent réduite à l’image d’une immigration pour raisons économiques, il importe de proposer un éclairage plus nuancé afin de rompre avec les clichés. Une partie de cette vague migratoire est liée à des raisons politiques et à la peur de répression d’un régime autoritaire. En effet, même au Luxembourg, l’histoire de nombreuses familles est marquée par le sceau de la migration «nondocumentée » (le salto, soit un exil clandestin) et par les guerres coloniales à des milliers de kilomètres de chez eux: or, ces trajectoires découlaient d’un système politique conservateur, passéiste et colonialiste empêchant le développement économique du Portugal. La Révolution des OEillets a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives pour de nombreux Portugais du Luxembourg, mais a aussi engendré des issues parfois moins heureuses pour les ressortissants des anciennes colonies portugaises devenues indépendantes en 1975.
C’est par la diversité des parcours de ces personnes aux horizons et aux trajectoires les plus distinctes que nous tenterons d’illustrer une passionnante histoire commune. Nous montrerons aussi comment les relations entre le Luxembourg et le Portugal, souvent présentées comme cordiales et motivées par le besoin de voir s’installer au Grand-Duché une nouvelle main-d’oeuvre dans les années 1970, furent néanmoins plus complexes.
Une «amizade» plus complexe
Dès le milieu des années 1960, une communauté portugaise, encore discrète, est présente au Luxembourg – les premières festivités pour la fête nationale portugaise furent organisées en 1965 à Luxembourg-Ville. Des visites de ministres portugais de la dictature eurent régulièrement lieu à Luxembourg. De même, le ministre des Affaires étrangères Gaston Thorn se rendit à Lisbonne en 1970 pour négocier un accord de main-d’oeuvre avec la dictature.
Tout laisse croire que la police politique du régime de l’Estado Novo sévissait également au Luxembourg, surveillant certains opposants politiques.
En 1973, à deux reprises, des étudiants luxembourgeois ayant manifesté contre les guerres menées par le Portugal en Afrique, furent molestés sans que les responsables pussent être retrouvés. Après la Révolution des OEillets, les relations politiques ont été plus pacifiques et le Luxembourg est devenu un partenaire fiable du Portugal sur son chemin vers l’intégration européenne. Notre exposition vivra aussi de l’interaction avec le public. Nous offrirons la possibilité aux visiteurs de nous faire part de leur(s) récit(s) et souvenir(s) en lien avec cette période de l’histoire que beaucoup de personnes ignorent, faute de l’avoir vécue ou de l’avoir étudiée sur les bancs de l’école.
Texte: Isabelle Maas et Régis Moes - Photos: Éric Chenal
Source: MuseoMag N°I 2024
1 Au 1er janvier 2023, le STATEC recensait 92.100 nationaux portugais au Luxembourg, auxquels il faut rajouter les personnes ayant acquis la nationalité luxembourgeoise (y compris les binationaux), puisque ceux-ci n’apparaissent pas dans les statistiques.